« Ce n’est pas moi la star, c’est l’avion », répond humblement le pilote à un compliment de Serge Dassault. Tout est dit. Si le capitaine Jean-Guillaume Martinez, dit Marty, est aujourd’hui le présentateur en vol du Rafale Solo Display et ambassadeur de l’armée de l’air, il est avant tout resté fidèle à lui-même, les pieds bien sur terre.
Le week-end dernier en marge du Royal International Air Tattoo, Marty remportait le « King Hussein Memorial Sword », trophée qui distingue la meilleure démonstration en vol. Fruit d’un travail d’équipe, cette récompense est pour nous l’occasion de revenir sur sa carrière.
Portrait d’un homme au parcours prédestiné.
L’unique objectif
Ne lui demandez pas de parler de sa vie avant. Elle a commencé avec l’objectif de « devenir pilote de chasse ». Né dans le sud de la France, le petit Jean-Guillaume découvre les meetings avec son père, passionné par la seconde Guerre Mondiale et les avions de l’époque. Inapte à la visite médicale, ce dernier transmet son ambition à son fils, qui adhère et en fait une raison de vivre. « Je ne pensais qu’à ça », se souvient le capitaine. Son père confirme : « Je suis admiratif, il nous impressionne. Il a toujours voulu faire ça. Dès l’âge de trois ans, il nous disait ‘pilote de chaaaasse’ en faisant un mouvement furtif avec sa main. »
Le rêve est en marche. Le destin aussi. Libéré par l’obtention de son baccalauréat, le jeune homme peut enfin se consacrer entièrement à sa passion. « Depuis tout petit je m’en cachais. Peut-être par timidité ou humilité, je n’osais pas dire à mes amis d’enfance ou à mes professeurs ce que je voulais faire. Je m’étais tracé les échéances à passer, je m’étais préparé et quand une à une elles ont été validées, ça a été top. On m’a parfois découragé, le plus difficile a été avec certains professeurs qui disaient souvent ‘il faut faire maths sup, maths spé, et tu n’as pas le niveau’. Et effectivement je n’avais pas le niveau en maths, mais en m’intéressant et en m’informant, j’ai vite compris qu’il ne faut pas nécessairement faire d’école d’ingénieurs pour devenir pilote de combat. »
© Marie Christophe / Le Journal de l’Aviation – tous droits réservés
Des présélections aux ailes de pilote
Pour atteindre son objectif, la première étape consiste à être présélectionné en tant qu’EOPN : « On passe des tests psychotechniques, psychomoteurs, des épreuves physiques sportives, des entretiens de motivation. » Et puis il y a la visite médicale. Seul « facteur chance » face auquel l’homme est impuissant. Elle sera validée : le feu est au vert pour la suite. S’ensuivent la formation d’officier et militaire à Salon de Provence puis la sélection à Cognac, à l’école de pilotage de l’armée de l’air en 1997. Agé de 20 ans, le capitaine Jean-Guillaume n’avait encore quasiment jamais volé : « J’avais juste fait quelques baptêmes de vol auparavant en DR400 et un baptême de voltige où je ne me suis pas très bien senti. Mais au final la troisième dimension m’a plu. »
A l’écouter, on pourrait presque croire que devenir pilote de combat est chose facile. « La seule fois où j’ai travaillé, c’est pour avoir mon baccalauréat car c’était indispensable ! » Mais si l’histoire paraît couler de source, la situation n’est jamais aisée et demande bien plus que du travail. En effet, pour homogénéiser les équipes et ne pas créer de classement, les résultats des tests ne sont pas connus. « Cela rend la sélection stressante, car on ne sait pas à quel niveau se placer : est-ce qu’on a été excellent ou est-ce qu’on a juste fait le nécessaire ? Mais c’est une bonne chose au final : on est tous sur le même pied d’égalité. »
Le capitaine Jean-Guillaume Martinez est breveté pilote de chasse trois ans après être entré dans l’armée, en 2000.
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Le métier-passion
« En 2001, je suis sur avion d’armes. » Cette phrase, suivie d’un long silence, semble résonner comme un soulagement sans pareil. L’homme croise le regard du petit garçon qui n’a cessé de poursuivre son but. Tout d’abord instructeur sur EMB312F Tucano pendant deux années à Salon de Provence, il pilotera son premier avion de combat le Mirage 2000 jusqu’en 2009 avant de passer sur Rafale. Il volera dès lors sur « l’avion », comme il l’appelle, en tant qu’instructeur depuis 2015 et présentateur en vol de la machine l’année suivante.
Passionnément engagé, Marty ne résume pas sa mission au vol. Son père, militaire puis policier, lui a également transmis les valeurs de la nation. « Il m’a communiqué ce devoir de donner pour son pays. Cela m’a toujours suivi et j’ai toujours apprécié le faire. Je voulais faire un métier utile à ma nation, même s’il est aussi égoïste : on est seul dans son avion et on prend un plaisir incroyable, avec des images qui ne sont que pour nous. Mais on travaille pour notre pays. Si vraiment je n’avais pas pu être pilote de combat, j’aurais essayé d’être pilote d’hélicoptère, pilote dans l’armée de terre ou soldat pour aller défendre mon pays. C’est ce que je rêvais de faire et j’ai réussi. » Avec 3 300 heures de vol dans l’armée de l’air, un peu plus de 1 000 heures sur Mirage 2000 et un peu plus de 1 350 heures sur Rafale, Marty rappelle effectivement que son entraînement avait pour but des missions de combat : « Depuis 2009, j’ai commencé ma transformation, j’ai appris à utiliser le vecteur, puis le système d’armes jusqu’à connaître toutes les capacités de l’avion, puisqu’il est multi-rôles. Il est capable de faire toutes les missions dédiées à l’armée de l’air et ça demande beaucoup de travail. Une fois qu’on a acquis toutes ces compétences, nous sommes aptes à toutes les missions. Je suis arrivé sur Rafale au moment du conflit libyen et nous avons pu utiliser l’avion dans toutes ses capacités et tout son système d’armes. Nous sommes entraînés toute une vie pour être utilisés pour une mission de combat ou de protection : c’étaient mes premières missions, c’était aussi un de mes buts. »
Son souvenir le plus marquant en Rafale reste d’ailleurs une opération extérieure, la dernière : « Je sais que je n’en ferai plus, et c’est l’ambiance associée aux mécaniciens et aux pilotes : il y avait eu des attentats, nous étions enfermés dans un camp et nous ne pouvions pas en sortir. En fait tout était compliqué et c’est ce qui rend cette situation inoubliable. Nous avons atteint nos objectifs, volé en toute sécurité et c’était la partie du vol la plus intéressante que nous ayons faite. » Marty ajoute à quel point il apprécie sa mission actuelle : « J’avoue que la démonstration Rafale est une vraie chance : c’est grisant de faire de la voltige aussi près du sol, se battre avec l’avion, avec les éléments. Essayer de toujours donner le meilleur, c’est un sacré challenge. »
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Rafale Solo Display : pilote et communicant
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Selon Marty, le vol parfait en Rafale n’existe pas. En recherche constante de perfection, il avoue pouvoir être content, mais jamais pleinement satisfait.
« On peut avoir le sourire en descendant de l’avion et être content du vol, mais on aura toujours quelque chose à se reprocher, ça va être insignifiant aux yeux du grand public, mais imparfait pour nous. Parfois l’environnement, le public, la fusion avec l’avion ou la satisfaction des manoeuvres effectuées peuvent être des choses satisfaisantes, mais c’est tout, faire un vol parfait ce n’est pas possible, en tout cas moi je n’ai pas encore réussi. »
Ambassadeur de l’armée de l’air, le rôle de présentateur du Rafale Solo Display demande beaucoup de qualités de communicant, bien au-delà de celles du pilote. Et chez Marty, cela semble être une seconde nature. Accompagner Marty sur un meeting ou un salon, c’est s’arrêter tous les dix mètres pour répondre à une question, faire une photo, signer un autographe. Sollicité de toutes parts, le capitaine n’hésite jamais à prendre quelques minutes pour satisfaire les passionnés ou les curieux. Même au pied de « l’avion », de jeunes fans l’attendent. A peine descendu de son fidèle destrier, l’homme pose avec ceux qui le réclament, toujours avec le sourire. « Ca fait partie de ma mission de communicant », affirme Marty, totalement dédié à sa cause, « et c’est aussi un vrai plaisir de recevoir un tel accueil. »
Et la communication de Marty ne s’arrête pas aux meetings. Très présent sur les réseaux sociaux, il anime une communauté de plus de 10 000 membres sur Facebook. « Avoir la chance d’être présentateur, c’est finalement aussi de pouvoir transmettre le plaisir qu’on a de toucher de tels avions. »
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La famille Rafale
Voler en tant que présentateur du Rafale, c’est avant tout appartenir à une famille. Prédécesseurs, mécaniciens, équipe, coach, tous participent à la réussite du « Solo ». Le capitaine Jean-Guillaume Martinez, ne les oublie pas et profite de la moindre occasion pour le rappeler.
La « famille » joue aussi un rôle dans la sélection. Pour devenir le présentateur du Rafale, il faut postuler, obtenir l’accord des ressources humaines qui vérifient le potentiel, l’ancienneté, et font repasser des tests face à des psychologues, mais pas seulement. La cooptation joue un rôle primordial : les prédécesseurs donnent leur avis et peuvent émettre un véto. « Il faut savoir que par exemple avec le capitaine Planche, on passe la moitié de notre année ensemble : on passe plus de temps en duo à travailler l’un avec l’autre qu’avec nos épouses, donc c’est un choix qui compte ! C’est très important de bien s’entendre », précise Marty.
Pour progresser, le pilote s’appuie également sur les conseils de ses pairs : « Les seuls capables de débriefer un vol de démonstration Rafale, ce sont ceux qui l’ont volé, ce sont les prédécesseurs qui ont vu ses qualités, qui ont eu la machine en main et qui peuvent comprendre les conditions de vol. »
Et puis il y a aussi la famille de sang. Marty est conscient du rôle essentiel qu’elle a pu jouer dans sa carrière : « J’ai fait de nombreuses missions de combat à l’étranger : c’était parfois dur pour ma famille, ils savaient où j’étais mais ne connaissaient pas les dates et heures de vol pour ne pas qu’ils s’inquiètent. Moins ils en savent, mieux c’est. Mais ils m’ont toujours encouragé. » Ses parents le soulignent également : « Sa femme est merveilleuse. Elle lui a donné la liberté et le soutien nécessaires à sa réussite. Cela a beaucoup compté. »
© François P. Photo disponible dans le Coffret Prestige Rafale Solo Display de Rémy MICHELIN
Coach Marty
Transmettre est aussi l’une des missions du présentateur du Rafale Solo Display. A la fin de l’année, Marty devra former son remplaçant et le coacher pendant deux ans : « J’ai eu la chance d’être très bien entouré et quand ce sera mon tour j’essaierai de faire aussi bien que ce que j’ai reçu. »
La transmission s’adresse également au grand public : « Si je devais conseiller un jeune qui rêve de faire mon métier, je lui dirais de tenter. Il y a forcément une part de chance, qui est dans la visite médicale. Si ça passe, il faut tenter. Il y a tellement de gens qui regrettent. Moi je n’avais jamais volé avant. Aux jeunes qui ont un baccalauréat, je leur dis GO ! C’est un métier passionnant, on trouve que le temps passe trop vite, ça fait déjà 20 ans que je suis dans l’armée et je vais partir demain. Tous les anciens me disent d’en profiter. »
© Marie Christophe / Le Journal de l’Aviation – tous droits réservés
La reconversion
Loin de nous l’idée de mettre le capitaine Jean-Guillaume Martinez déjà à la retraite, mais la question de la suite se pose rapidement. Après 2019, il lui restera encore une année à effectuer, qu’il pense accomplir au sein de son Escadron de Transformation Rafale pour continuer à former les pilotes, puis partira ensuite dans le civil. « Ce sera une croix sur ma carrière militaire. Je ne sais pas encore exactement ce que je vais faire, peut-être pilote de Canadair ou pilote de ligne, il y a plein de possibilités mais quoiqu’il en soit j’aimerais continuer de voler. Je vais essayer de recentrer aussi ma vie sur ma famille, qui a beaucoup donné. Il faudra que je trouve un nouvel équilibre, un endroit où m’installer et un job intéressant. Mais trouver aussi intéressant que ce que je fais aujourd’hui, ça va être difficile ! »
Ses parents, eux, ne sont pas inquiets et regardent leur fils avec un oeil ému : « Il n’a pas changé, il est humble et naturel dans ce qu’il fait, ça fait plaisir à voir. Il a toujours su ce qu’il voulait faire de sa vie personnelle et professionnelle. Quand il veut quelque chose, il met tout en oeuvre pour y arriver et pour nous, tout a ressemblé à des évidences. Il a aussi sûrement une bonne étoile mais il le mérite. Etre parents, cela implique des sacrifices, mais cela en vaut la peine. Tout ce qu’on lui souhaite, c’est qu’il soit heureux, et je crois qu’il l’est. »
A en croire son sourire en regagnant le cockpit de son avion, on ne peut que confirmer. Le capitaine Jean-Guillaume Martinez repart en démonstration et ses derniers mots résonnent : « Il faut savourer car ça passe trop vite, et créer des souvenirs pour pouvoir s’y accrocher… »
© Marie Christophe / Le Journal de l’Aviation – tous droits réservés